Les bombes à retardement du nucléaire

Publié le par Parti de Gauche 94 Nord

Avec 19 centrales et 58 réacteurs nucléaires, la France peut revendiquer le titre de pays le plus nucléarisé du monde par rapport au nombre d’habitants. Une performance après Tchernobyl et Fukushima que l’on peut ne pas nous envier. D’autant qu’aux dangers des centrales en activité s’ajoutent ceux suscités par l’arrêt des plus anciennes. Avec « Centrales nucléaires, démantèlement impossible ? » (diffusion sur Arte ce soir à 20.50*), le documentariste Bernard Nicolas fait le point sur ces opérations qui s’avèrent loin d’être anodines. Son doc nous montre comment la France, les États-Unis et l’Allemagne tentent d’en résoudre les problèmes.

Ces centrales ont été construites et mises en service sans que l’on sache très bien comment on allait procéder à leur démontage. L’heure venue, tout en assurant le contraire, les compagnies gestionnaires ont dû apprendre sur le tas. Sans beaucoup de précautions, comme dans le Maine aux États-Unis où l’on a dynamité, comme n’importe quel immeuble d’habitations, la partie la moins radio-active d’une installation en ensevelissant sous les poussières produites un public convié au spectacle. Ou bien en progressant par étapes de démontage, du moins au plus contaminé, comme en Europe. Moins radical, mais plus lent : la centrale de Brennilis en Bretagne est en phase de démantèlement depuis 1997. Combien de temps faudra-t-il pour en venir à bout ? Entre 30 et 60 ans, selon les problèmes rencontrés, suggère un intervenant.

Quoi qu’il en soit, la rapidité ou non du démantèlement ne résout pas le problème résultant de la déconstruction. Que faire de toutes les parties contaminées de ces installations ? Les solutions en matière de déchets nucléaires sont allées du pittoresque au pas d’idées du tout. Certains, qui avaient peut-être trop lu Jules Vernes, ont envisagé de les expédier à la jonction des plaques tectoniques, dont le mouvement les pousserait vers le centre de la Terre, dans le magma. Beau scénario de BD, mais la réalité a été plus prosaïque. Les Français se sont contentés, dans les années 60, d’immerger dans la Manche des barils de déchets noyés dans du béton. Les Allemands ont jeté une partie des leurs dans une ancienne mine de sel à 500 mètres sous terre. Malencontreusement, une montagne toute proche dont on s’est aperçu depuis qu’elle bougeait de 10 millimètres par an a fissuré la décharge saline que l’on tente désormais de colmater, tout provisoirement, avec des injections de béton. Quant aux États-Unis, ils ont choisi la simplicité. Dans le Maine, sont entreposés à ciel ouvert 64 barils de 100 tonnes de déchets radio-actifs en attendant, 20, 50, 100 ans ou plus selon la direction. Personne ne sait.

Certes, les projets de stockage de ces déchets ne sont pas tous aussi bricolés. Mais ils relèvent unanimement de la tactique des miettes sous le tapis. Et que peut-on faire d’autre avec une dangerosité qui se mesure en centaines de milliers d’années. Aussi s’élaborent les projets d’autres enfouissements, comme à Konrad, en Allemagne, au nom du respect « des générations futures ». Une ancienne mine de fer accueillera à 1000 m de profondeur les déchets avec la certitude ou du moins l’espérance que l’environnement géologique restera stable durant 300 000 ans… Tout cela coûte cher : pas moins de 18 milliards d’euros, dit-on, pour démanteler les 58 réacteurs français. En réalité, une fourchette de 120 à 170 milliards suggère des esprits critiques. Cet écart fait craindre, d’autant plus dans la frénésie libérale d’aujourd’hui, la tentation d’économies qui pourrait être lourdes de conséquences.

Démanteler une centrale nécessite un transfert de savoir-faire, les connaissances des lieux et des méthodes d’exploitation. L’opération implique en principe la pérennité d’une grande partie du personnel, sa formation et sa protection. Or selon un représentant de la CGT, il y aurait dans le secteur du démantèlement 4 ou 5 strates de sous-traitance qui font écran à des pratiques fiables et éprouvées et à la reconnaissance du travail véritable de ces ouvriers. « Il y a quelques années, explique le syndicaliste, la convention collective majoritaire des entreprises sous-traitante était celle de la métallurgie. Aujourd’hui, c’est celle du nettoyage… » Derrière l’évident mépris pour ces travailleurs de première ligne transparaît ici la véritable inconscience des responsables de la filière à l’égard de du danger du nucléaire. Le déni des difficultés de sortie de ce piège mortel plaide d’autant plus pour son urgence.

* Le documentaire est visible en replay sur Internet (site Arte TV) dans la semaine qui suit sa diffusion soit jusqu’au lundi 27 inclus.

Jean-Luc Bertet

Publié dans Parti de gauche

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