Le vote PS ou l'alternance sans alternative...

Publié le par Parti de Gauche 94 Nord

Vote utile et dissidence électorale, par Pascal Levoyer, sur Médiapart

"L’insistante campagne menée depuis quelques semaines en faveur du vote utile n’est pas seulement politiquement inepte et honteuse, elle est aussi humiliante. Au-delà de l’exaspération manifestée par quelques militants peut-être irascibles, il y a celle, sincère et désemparée, d’électeurs (et ici, de lecteurs) vulnérables et indignés. Mais il y aussi, et surtout, un aveuglement suspect alors que depuis près de 25 ans une partie croissante du peuple français est entrée en dissidence électorale.

Il y aurait ainsi un vote inutile et par conséquent un engagement vain, stérile, et donc aussi une conviction creuse ou vide. Un acte renvoyé à une telle insignifiance ne peut certes pas être celui d’un ennemi. Il sera simplement jugé avec la même condescendance, ou le même agacement, que peut l’être l’égalité du temps de parole imposée par la campagne officielle :  un exercice folklorique et infrapolitique. Mais acte inutile il peut cependant devenir nuisible dès lors que, dans la compétition politique, il ne rend pas le service que l’on en attend.  Un peuple de gauche indistinct se voit dès lors mis en demeure de se conformer au comportement fonctionnel édicté par une raison politique opportuniste et plus ou moins combinarde.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’inanité du calcul supposé, qu’aucun sondage ne peut de toute façon venir bousculer. Cela a déjà été assez (et bien) fait. Le précédent de 2007 ne semble même pas pouvoir servir de leçon. Une gauche asphyxiée n’a pas permis de sauver une candidate socialiste que chacun savait promise à la défaite. L’enjeu politique est clair, il n’est pas de favoriser le candidat le mieux placé pour battre Sarkozy, mais de laisser les mains libres à un futur président socialiste. Le prix à payer sera de conforter la 3ème place de la fille Le Pen, dont on espère sans doute que le parti deviendra la principale force d’opposition. Mais ce prix ne paraît pourtant pas trop lourd à ceux qui, en 2002, faisaient injonction de voter utilement au second tour afin de battre un candidat fasciste qui ne pouvait être élu. Celui-ci, parfait fétiche politique, remplira donc à nouveau sa fonction d’idiot utile que lui ont assignée depuis trente ans les partis de gouvernement.

Le pari n’est cependant pas sans risque puisqu’il repose pour l’essentiel sur l’obéissance et la discipline républicaine des électeurs de gauche. Mais en dépit de l’appel de leurs candidats il se peut fort bien que ces électeurs,  après avoir été convaincus d’avoir cédé au vote inutile lors du 1er tour, en concluent à l’inutilité de voter au second.

Le peuple turbulent pourrait donc ne pas être au rendez-vous, même s’il n’est attendu que pour un référendum sur Nicolas Sarkozy. Et pour une bonne part il ne le sera déjà probablement pas dès le premier tour. Depuis longtemps et à l’occasion de toutes les élections, à la seule exception des présidentielles de 2007, il est entré dans une sorte de dissidence électorale. On ne saurait bien entendu invoquer un abstentionnisme actif, contestataire ou révolutionnaire,  probablement faute de l’investissement politique suffisant auprès des  classes populaires les plus concernées. Mais que l’on ne compte pas pour autant pouvoir se replier sur le constat d’une forme d’apolitisme, niais, droitier ou même postmoderne.

L’indifférence à l’égard d’une « alternance sans alternative » s’est nourrie des promesses trahies. La méfiance à l’égard d’une classe politique et médiatique arrogante, compromise par des scandales et des affaires financières, ne sera pas apaisée par la seule éviction de Sarkozy. L’hostilité à l’égard de l’exercice d’un pouvoir politique très sérieusement délégitimé, au moins depuis le référendum de 2005 sur la constitution européenne, interroge profondément les mécanismes de notre démocratie représentative. La vie démocratique ne peut être réduite au seul mécanisme électif, elle ne peut plus être livrée, selon un modèle plébiscitaire, au seul leadership d’un chef supposé charismatique, mais en réalité simplement autocrate.

Cette dissidence électorale est encouragée par une colère sociale que ne mesurent pas des bulletins de vote, mais des jours de grèves et des mobilisations qui précipitent dans les rues de toutes les villes de France plusieurs centaines de milliers de travailleurs, employés, ouvriers, jeunes, précaires et… abstentionnistes. Les protestations et les mouvements de masse sont de plus puissants outils pour lutter contre la désaffiliation de la sphère publique que ne peuvent l’être les campagnes publiques pour inciter au vote ou que les cours d’éducation civique que l’on inflige à la jeunesse. Il est ainsi fort peu probable que ce peuple, qui se reconstitue par la force des luttes qu’il mène, se laisse policer et distribuer paisiblement, selon la nature et l’utilité de son vote, au lendemain d’un scrutin insipide.

Les forces de gauche les plus lucides le savent bien.  Du moins tous ceux qui ne prennent pas prétexte de cette abstention populaire pour recycler, de manière savante, une « moraline » contre révolutionnaire en prévention d’on ne sait quelle terreur.  La fragile espérance qui s’est levée à gauche, à l’occasion de cette campagne,  et qui ne peut être soldée au prix d’un vote utile, devra rapidement se convertir dans une dynamique sociale concrète si elle veut s’inscrire, pour la marquer durablement, dans la déjà longue séquence de luttes et de combats qu’a ouvert le mouvement social.

Les échéances se précipitent. La première urgence est d’abattre, dès dimanche, ce que Žižek nomme le « fétichisme fascisto-populiste » qui permet encore de rendre la réalité supportable à tous ceux qui la subissent.  Le 1er mai sera notre premier rendez-vous pour retrouver, au-delà de nos votes, le chemin de l’offensive sociale."

Publié dans Front de Gauche

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